Le Vaucluse regorge de lieux insolites. Naturels ou nés de la main de l’homme, ils nous fascinent. Des somptueuses gorges de la Nesque aux sarcophages de Mazan, non loin de Beaumes-de-Venise, en passant par le village des bories de Gordes, tous valent le détour. Alors si certains nous amusent, d’autres au gré d’une balade, nous replongent dans les heures sombres de la Provence. C’est le cas de l’un d’entre eux : le mur de la peste dans les Monts du Vaucluse.
La Peste. Ce mot, terrible, s’il en est, fut longtemps associé à la colère divine. À tel point qu’il était presque tabou de le prononcer. Et on peut le comprendre. En effet, ce fléau fut la cause de millions de morts dans le monde et en France. Ce n’est qu’en 1894, qu’un médecin bactériologiste franco-suisse, Alexander Yersin isole le bacille de la peste. Il lui donna d’ailleurs son nom, le Yersin Pestis.
Mais revenons à notre mur de la peste
Au sommaire :
Le mur de la peste, un cordon sanitaire à la provençale
Le mur de la peste est en réalité, un monument historique assez singulier. Cette frontière de pierre sèche de 27 kilomètres de long, est bâtie en 1721, afin de servir de barrière protectrice entre le comtat Venaissin et le comté de Provence. En effet, une épidémie de peste frappe le sud de la Provence depuis le mois de mars de l’année précédente : la peste de Marseille.
Le mur de la peste : quand l’histoire nous rattrape
Une épidémie en provenance de l’étranger, des mesures tardives, une restriction de circulation, une attestation dérogatoire pour se déplacer ! L’histoire est décidément un éternel recommencement.
La peste débarque à Marseille.
La peste démarre en réalité dès le 25 mai 1720 à Marseille. Le navire « Le Grand Saint-Antoine » revient de Syrie chargé de textile. Les marchands de la ville attendent cette cargaison avec impatience, car la ville connaît une crise économique sévère. Ce chargement est donc la promesse d’un emploi pour des ouvriers sans travail.
Une déclaration immédiate
À peine le bateau accosté, son capitaine déclare les huit cas de décès liés à la peste arrivés pendant la traversée. Les autorités portuaires décident donc de débarquer marchandises et hommes non contaminés aux infirmeries de Marseille. Le reste de la cargaison et notamment les tissus seront quant à eux placés en quarantaine, sur l’île de la jarre pour 26 jours. Or, selon les normes de l’époque, ce sont cinquante jours qui sont nécessaires à la décontamination.
Des mesures tardives et mal appliquées
Si les marchandises sont bien débarquées sur l’île de la jarre, elles n’y resteront, en réalité pas très longtemps. La crise économique prenant le pas sur les intérêts de santé publique, les tissus sont alors distribués aux tailleurs. Très vite, on signale une première victime marseillaise. Pourtant, il faudra attendre le 31 juillet, soit près de 4 mois, avant que la peste ne soit officiellement déclarée à Marseille. Elle va durer jusqu’en août 1721 et on dénombrera jusqu’à 50 000 morts dans la ville.
Avant le mur de la peste, une restriction de circulation
Dès l’annonce de l’épidémie de peste, le vice-légat du Pape Raniero d’Elci, interdit toute relation entre le comtat Venaissin, alors résidence des papes, et Marseille. À partir du 1er août 1720, une ligne sanitaire est donc mise en place sous la garde de l’armée, et la circulation réduite. Pourtant, il n’interdit pas le commerce avec le reste de la région, alors que la peste est déjà aux portes du comtat. Une ligne sanitaire est établie sur la rive droite de la Durance, le 4 septembre.
Stopper la progression
Mais la peste avance et atteint la ville d’Apt, puis Carpentras le mois suivant. Un second cordon sanitaire se met alors en place de la Durance au pied du massif du Mont Ventoux. D’abord composée de simples barrières et gardée par les soldats, cette ligne immatérielle va devenir un mur de pierres sèches bien tangible. C’est un architecte de Carpentras, Antoine d’Allemand qui prend en charge sa construction. 27 kilomètres de long, près de deux mètres de haut et soixante centimètres d’épaisseur. Voilà les dimensions de la frontière de pierres qu’on appelle désormais, le mur de la peste.
Une attestation dérogatoire pour se déplacer
Un document daté du 4 novembre 1720 vient nous rappeler les attestations dérogatoires de déplacement mise en place en France lors de l’épidémie de Coronavirus. Elle autorise son porteur, un certain Alexandre Coulomb, consul de son état, à circuler librement entre deux villages du Gard, Remoulins et Blauzac. Il y est précisé que le sieur Coulomb, âgé de 28 ans quitte une ville « où il n’y a aucun soupçon de mal contagieux ». Par contre, ce sauf-conduit est signé non pas par le porteur, mais par le par juge-consul Fabre, qui « prie ceux qui sont à prier », de laisser librement circuler le jeune homme.
Le mur de la peste, un mur construit dans la douleur
L’édification du mur de la peste est décidée le 14 février 1721 à Mazan, lors d’une réunion entre les autorités pontificales et le représentant du roi en Dauphiné. Sa construction démarre en mars 1721. Il reprend le tracé de la ligne sanitaire qui part de la Durance se termine près du Mont Ventoux. Ce mur destiné à empêcher tout passage, devait être gardé jour et nuit par les troupes françaises et papales.
Des ouvriers réquisitionnés
Au tout début, il avait été prévu que seuls les « gens du pape » participeraient à l’entreprise. Mais devant l’urgence de la situation, on réquisitionne finalement les habitants. Chaque village doit alors fournir hommes et matériaux. Les autorités obligent les ouvriers agricoles à travailler dix jours chacun à l’édification du mur, abandonnant de fait les travaux des champs, ce qui ne les enchantent guère. De plus, le maigre salaire journalier ne les incite pas au zèle. Le mur n’avance donc pas très vite dans les premiers temps.
Changement de tactique
Les autorités décident alors ne plus payer à la journée, mais à la longueur de mur construit. Un paiement à la tâche en somme. La menace d’amendes sanctionnant les communautés les moins productives, finit par motiver les moins zélés. C’est ainsi qu’ils terminent leur dur labeur à la fin du mois de juillet 1721. Il aura fallu moins de 100 jours.
Le comtat pris au piège du mur de la peste
Le mur est terminé, les soldats du pontificat sont en place et le commerce peut alors reprendre entre le Comtat et la France. Pourtant, malgré tous ces efforts, la peste se déclare en Avignon à la fin du mois d’août 1721. Les troupes françaises remplacent alors les troupes pontificales. Elles s’installent de l’autre côté du mur afin de protéger le pays d’Apt enfin débarrassé du fléau.
Le Comtat se retrouve alors isolé de la France et du reste de la Provence, piégé par son propre mur. La peste s’étend et s’amplifie au cœur du Comtat jusqu’en juillet 1722, puis décline doucement à partir de septembre 1722. Elle se termine en février 1723, après avoir décimé près de 25 % de la population comtadine.
Le mur de la peste, de cabanes en guérites
Le mur de la peste, que certains qualifieront de « ligne de la malédiction » est une construction de 27 kilomètres de long. Il sépare le Comtat Venaissin et la Provence. Son tracé démarre en réalité au lieu-dit le Pas du Viguier, juste au sud des gorges de la Nesque et se termine à la ferme de la Baume au sud de la jolie commune de Cabrières-d’Avignon. Il suit en fait, les crêtes crête des monts du Vaucluse.
Un mur en pierre sèche
Le mur de la peste est une construction en pierre sèche telle qu’on en trouve souvent en Provence. Pas de trace de chaux, ni d’aucun autre liant dans le bâti de ce rempart. On prélève les pierres directement sur place. On ne peut pas dire que l’assemblage soit très bien réalisé. Il est, en effet, assez grossier, et même plutôt bancal.
Quarante guérites
Il se compose d’un mur bien sûr, mais aussi d’abris semi-circulaires construits afin de protéger les gardes et sentinelles en faction. Tout au long de son parcours, on dénombre 40 cabanes en pierre sèche régulièrement espacées. Ces petites guérites s’ouvrent en direction du mur. Elles sont distantes de 250 m.
Cinquante cabanes
Cinquante cabanes plus grandes (3,70 m de côté extérieur) et carrées sont également reparties le long de cette frontière de pierres. Certaines d’entre elles, un peu plus grandes, servent à abriter de petites unités composées de 5 à 6 hommes. Elles devaient probablement servir aussi de rangement pour le matériel des soldats ainsi que les provisions du corps de garde. Des enclos permettaient de garder les chevaux.
Vous trouverez sur votre parcours des bornes en pierre marquées de la silhouette effrayante des médecins masqués.
Du mur de la malédiction au mur de la randonnée
De nos jours, les randonneurs peuvent emprunter les sentiers qui longent le mur de la peste. En effet, vous pouvez faire des randonnées le long du sentier partiellement aménagé. Alors, attrapez votre sac à dos, enfilez vos chaussures, et, guide de randonnée en poche, allez-y.
Votre promenade vous entraînera vers des passages certes rocheux et parfois peu aisés, mais les panoramas qui s’offrent valent bien un petit effort. Notamment dans le vallon de Sénancole (cours d’eau qui traverse Cabrières) ou chaque belvédère, vous pousse à la contemplation.
Empruntez le chemin des fileuses pour arriver devant un magnifique point de vue sur la plaine du Coulon. Puis continuez en direction d’un ancien château médiéval, totalement reconstruit. Suivez le chemin de la Muscadelle, d’où vous aurez une vue imprenable sur les cultures en restanques (terrasses) et les vignes.
Balade au milieu des senteurs de la Provence
Faîtes alors demi-tour et reprenez votre randonnée pédestre le long du mur de la peste. Prenez votre temps et suivez tranquillement le sentier (assez) caillouteux. Musardez à l’ombre des vergers, des oliviers et des amandiers qui bordent le chemin. Observez la faune et la flore provençale, imprégnez-vous des parfums des essences locales : thym, romarin et autres plantes de la garrigue. Cette jolie balade amènera enfin le marcheur jusqu’à la Plantade, un bel endroit en pleine nature pour une petite halte.
L’abbaye de Notre-dame de Sénanque
Du mur de la peste, vous pourrez admirer l’abbaye de Notre-dame de Sénanque, noyée dans son champ de lavande à la belle saison. Visitez son cloître et attardez-vous sur ses chapiteaux à feuilles d’eau, sur son chevet et sur son clocher. C’est un des emblèmes du patrimoine religieux, architectural et culturel du Luberon. Cet ancien monastère cistercien, établi sur la célèbre commune de Gordes dans le parc naturel régional du Luberon, est toujours en activité. Gordes, qui rappelons-le, est par ailleurs, classé parmi les plus beaux villages de France et sans doute le plus photographié des villages perchés du Luberon.
Organisez votre rando
Renseignez-vous auprès de la Fédération française de randonnée ou des offices de tourisme des villages proches du mur de la peste. Cette randonnée pédestre ne présente pas de difficulté particulière hormis quelques rares passages. Pas de gros dénivelé en vue (mais rien ne vous empêche de prendre vos bâtons.). Tenez bien sûr compte du balisage pour préparer l’itinéraire de votre parcours. Des départs de randos sont possible depuis les villages de Lagnes, Cabrières-d’Avignon ou encore de hameaux comme c’est le cas près de Méthamis, par exemple. Le circuit part du parking proche du relais de Saint-Hubert. De là, vous aurez une vue magnifique sur le mont Ventoux et les gorges de la Nesque.
La passion des bénévoles au secours du mur de la peste
Abandonné dès la fin de l’épidémie en 1723, le mur de la peste est vite tombé en ruine. Une association vauclusienne spécialisée dans le travail de la pierre sèche le découvre d’ailleurs, dans un état lamentable. Après un état des lieux minutieux et le travail acharné de nombreux bénévoles passionnés, le mur a enfin put être restauré. Pas entièrement, certes, mais sur une distance de près de six kilomètres, ce qui aura nécessité six longues années. Vous pouvez désormais le suivre depuis Cabrières-d’Avignon en direction de Lagnes, puis de Murs et jusqu’à Méthamis. On peut aussi le rejoindre en empruntant un parcours entre Carpentras et Cabrières-d’Avignon. Depuis le sentier aménagé qui borde le mur de la peste, vous pourrez profiter de magnifiques points de vues sur : le plateau du Vaucluse, l’emblématique Mont Ventoux, la montagne de Lure, mais aussi le Luberon.
Jack a dit.
D’autres merveilles naturelles telles que les Dentelles de Montmirail et la tour sarrasine, le colorado provençal de Rustrel et le sentiers des ocres de Roussillon, le rocher de cire et les gorges de la Nesque vous attendent. Vous ferez également une halte devant la source de la Sorgue à Fontaine-de-Vaucluse, visiterez le village des bories près de Gordes, et randonnerez dans le massif et les gorges du Toulourenc creusées au pied du Géant de Provence. La beauté du Vaucluse est aussi magique qu’elle est multiple.